SIVENS, symptôme d’une démocratie qui bredouille…

La tournure des évènements autour du projet controversé du barrage de Sivens -projet local devenu
malgré lui cause nationale- suscite dans la classe politique et dans les médias de nombreuses analyses
et questions.
La dimension tragique qui l’a frappée récemment touche chacun au plus profond de son sentiment
d’existence en tant que citoyen.
Nos responsables politiques sont dans leur rôle, qui en appèlent au respect de « l’état de droit », aux
règles qui prévalent dans le bon fonctionnement de tout « état démocratique », à la « condamnation de
la violence », etc…autant de notions sur lesquelles in abstracto, chacun s’accorde.
Ma réflexion voyage en plusieurs directions et à différents niveaux :
Concernant l’« état de droit », les règles propres au fonctionnement « démocratique » d’un pays et
leur application n’ont de valeur que si elles sont applicables par tous, à commencer par les hommes et
femmes élus en charge de la « chose publique ».
Leur exemplarité est le fil conducteur de la vie démocratique et leur manque de rigueur face au droit
(dans le cas de Sivens : fi des recours administratifs, de la teneur d’arrêtés préfectoraux, mésusage de
la concertation, tentative de passage en force etc…) gangrène, perverti, jette le trouble et le désordre
dans la vie publique.
Le citoyen « ordinaire » devient soupçonneux, critique et perd confiance dans des responsables
politiques qui ont fini au fil du temps par faire de la Politique un fond de commerce au service
d’intérêts plus individuels et corporatistes voire privés qu’au service d’un intérêt général.
En cause, et pour une grande part le faible renouvellement de la classe politique (et que ceux qui
veulent démissionner le fasse au plus vite !). Mandats et cumuls de mandats se répètent, enkystant les
mêmes aux affaires parfois sur des dizaines d’années.
En cause aussi l’aveuglement et l’habitude, la démobilisation et la lâcheté citoyenne de la majorité
silencieuse face à un pouvoir qui l’entretien … pour autant tout cela n’équivaut pas à un chèque en
blanc !
Cet état de fait entraîne des conséquences perverses dans la gestion décentralisée des territoires et
produit des effets délétères en termes de démocratie.
Cet « entre soi » de la gens politique de tous bords favorise la cuisine politicienne locale et avec elle
toutes formes d’abus dont l’Etat dans un silence assourdissant se rend complice –dans certains cas
malgré lui car dessaisi de façon inappropriée de certaines compétences- dans l’incapacité qu’il est à
jouer un rôle de tiers ou à faire preuve d’une saine autorité lorsque les éléments d’une situation la
requièrent.
La vie politique des élus réduite à deux mandats serait une mesure de salubrité politique publique. En
effet, la gestion d’un état, d’une région, d’une commune si elle exige formations et compétences, ne
peut être assimilée à une forme de statut professionnel et encore moins contribuer à construire une
carrière professionnelle personnelle ; il y a là un contresens.
Occuper de telles fonctions suppose un engagement « au service de » la collectivité, le service public,
le service des autres ; engagement qui compte tenu de son exigence ne peut se concevoir que pour un
temps limité … Il y en a qui font de cette fonction un combat et un engagement, et qui reviennent
ensuite à leurs affaires…
Notre démocratie souffre à divers titres de tous ses carriéristes :
Ce sont eux bien sûr qui donnent de la voix dans les médias et s’indignent sur notre « état de droit »
bafoué ; eux qui savent et donnent des leçons de démocratie tout en la confisquant, et qui abusent du
pouvoir qu’elle leur confère parfois depuis plus d’une génération…
On ne s’étonnera pas de l’état de sclérose dans lequel s’enlisent des lignes politiques et des projets
inadaptés à l’urgence de problématiques actuelles.
On ne s’étonnera pas non plus que le citoyen « ordinaire » se manifeste.
En effet, il est mis à contribution plus que de mesure depuis quelque temps pour alimenter les caisses,
ces tonneaux des Danaïdes ; il serait logique que puissent lui être rendus des comptes par ceux qui se
chargent d’effectuer les dépenses et qu’il ait son mot à dire un peu plus fréquemment qu’en périodes
d’élections…
La dette a bon dos ; cette abstraction qui nous est servie à longueur de journée est constituée des
gestions exorbitantes et calamiteuses d’un bon nombre de potentas nationaux et locaux, chacun
désireux de laisser derrière lui ou elle sur le dos des finances publiques la marque indélébile de son
passage aux affaires…( marque indélébile en effet, car tous effets conjugués à tous les niveaux de
dépenses publiques, cette trace marquera ainsi en toute impunité les générations qui suivent, à savoir
nos enfants !).
D’autres soucieux de la promotion de leurs territoires (avec une vision parfois très personnelle !)
s’enferment dans des projets dispendieux et surdimensionnés à l’image de ronds-points qui fleurissent
en rase campagne, ou de la construction d’une mairie neuve dans une commune de 180 personnes,
voire de projets de ports pharaoniques dont les études sont à la charge du contribuable et, près de chez
nous du projet de Sivens.
Des projets disproportionnés sur lesquels les élus s’entêtent au mépris d’une conjoncture économique
qu’ils sont les premiers à évoquer quand cela les arrange et à laquelle chaque citoyen se confronte de
plus en plus douloureusement au quotidien.
Des projets menés au mépris des divisions et des fractures qu’ils occasionnent au sein de la société.
Des projets infiltrés de conflits d’intérêts…
Ces pratiques sont souvent sournoises et dissimulées sous couvert de légalité : enquêtes soit disant
d’« intérêt public » dont les conclusions ne sont pas toujours respectées (cf barrage de Fourogue),
études, habillages administratifs rendant leur lecture opaque et dissuasive, etc…etc…
En ce qui concerne le projet de barrage de Sivens, s’il est légitime que les agriculteurs concernés par le
manque d’eau cherchent des solutions permettant l’amélioration de leur production et partant de leur
niveau de vie, cette légitimité ne l’est ni plus ni moins que pour tout un chacun qui tend vers une
évolution de son devenir et une progression de son outil de travail sans forcément en appeler aux
finances publiques !
Partant de là, il serait nécessaire de questionner la notion « d’utilité publique » et ses critères de
définition à la lumière des paramètres économiques, écologiques actuels et de la mettre en regard de la
notion de « bien commun ». L’eau, l’environnement, la nature entre autres font partie du patrimoine
commun qui exige de chacun protection et respect…
Sur ces sujets, et dans la gestion des biens communs, l’Etat et les collectivités locales doivent se
montrer particulièrement exemplaires en termes d’exercice démocratique ; exercice qui au delà des
votes en conseils municipaux, départementaux etc… supposerait des consultations élargies aux
citoyens.
Quelle pertinence y a t’il à qualifier d’« utilité publique » le projet de Sivens, un projet basé
essentiellement sur la conjugaison de besoins et d’intérêts privés limités à un nombre somme toute
restreint d’exploitations (regroupées pour la plupart sous la banière de la CACG, elle même ayant déjà
utilisé -par un passage en force- les moyens du département avec la complicité de son président pour
un projet déclaré par la suite illégal) ?
Qu’est ce qui justifie l’utilisation de fonds publics, régionaux, départementaux et de surcroît européens
pour financer ce projet sous cette forme ?
On croit rêver de voir que le département du Tarn serait suffisament pouvu pour apporter des
financements à un tel projet alors que pour avoir travaillé dans le secteur médico social et de la petite
enfance, j’ai pu mesurer à quel point les moyens du département en charge de ces services se sont
toujours avérés être à la baisse et ceci est plus que jamais d’actualité : baisses de financements,
diminutions des enveloppes, personnels non remplaçés et en sous effectifs pour des besoins de base
concernant la population qui sont immenses….
Le mot d’ordre serait aux économies… que comprendre ?
A intérêts privés financements privés, ce qui tout naturellement aurait largement abaissé le niveau de
prétention -quant à l’ouvrage- des professionnels concernés et les aurait amené à recourir à la
recherche d’ alternatives utilisées partout ailleurs.
Mais avec les fonds publics, d’une façon générale c’est « no limite » « no contrôle » et la gabegie
institutionnalisée…selon le bon vouloir d’institutionnels fort peu démocrates et selon un système
administratif qui stipule que l’utilisation en totalité des fonds publics aloués sur un exercice est la
condition de leur renouvellement l’année suivante. Alors, gaspillons … !
On ne s’étonnera pas que devant ces usages et injustices les citoyens et les associations cherchent à y
voir plus clair et que les jeunes prennent leur part de ce qui leur apparaît comme un combat, une lutte
légitime face à ce qui leur est servi et tracé pour l’avenir…

Jeunes qui pour un certain nombre -trop bien sûr- restent sur le bord de la route, sans projet ni espoir,
débarqués d’un système éducatif et d’enseignement éculé où ils n’ont jamais trouvé leur place,
système d’une violence inouïe, incapable de se réformer, tenu là aussi par des corporatismes sclérosés
agrippés à une administration, qui fait tous les jours malheureusement la preuve de ses limites et de ses
échecs.
On ne s’étonnera pas que n’ayant rien à perdre, des jeunes s’enfoncent dans la violence du désespoir et
la destruction.
La violence appelle la violence, et les trop nombreux contre-exemples qui émergent de certaines
pratiques politiques insidieuses et contestables reviennent dans le champ social en le percutant à la
manière d’un boomrang.
Le projet de barrage de Sivens est à ce titre symptômatique ;
Sivens-symptôme d’une démocratie vieillotte dont les pratiques sont celles d’un autre temps, une
démocratie frileuse et défensive qui marque le pas face à une société et une jeunesse qui se sentent mal
considérées et abusées parfois par ses élus, leurs pratiques et leurs collusions d’intérêts.
Sivens-symptôme d’une revendication citoyenne qui veut savoir, qui ne se satisfait plus de la langue
de bois, qui souhaite être entendue et qui appelle le respect.
La pratique de la démocratie dans un « état de droit » doit se vivre et non se décréter.
Le niveau d’abstention lors des élections est assez édifiant de la désaffection des citoyens pour la vie
politique tant est fort leur sentiment que celle ci leur est trop souvent confisquée.
Une démocratie vivante n’a pas peur des échanges et des confrontations de points de vue, elle se doit
d’intégrer à tous les niveaux de son exercice dans le champ du politique et dans le champ social des
instances de « veille citoyenne », « forums » et autres « consultations » afin de rester en contact avec
ceux au service desquels elle puise sa raison d’être.
I. M. ALBI

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