Le 30 mai 1968, on vit descendre sur les Champs-Élysées des milliers d’écharpes tricolores tendues sur des poitrails gonflés d’indignation. Les élus de la République qui s’en étaient ceints avaient par cette manifestation calme et à cheveux courts souhaité exprimer leur ras-le-bol de la Chienlit estudiantine et par là même, baiser le képi de Mongénéral. Et bien il faut se préparer à ce qu’un autre torrent légitimiste se répande dans une grand-rue, mais cette fois-ci à Albi.
Par une lettre adressée le 6 novembre à tous ses confrères et consœurs, Sylvain Fernandez, président de l’association des maires et des élus locaux du Tarn (ADM), leur demande de répondre à l’appel lancé par l’association « Tarn Ruralité » à un « rassemblement citoyen et pacifique », le samedi 15 novembre prochain à 14 h 00 à Albi. Les insignes républicains seront de rigueur. Cette manifestation, précise l’édile, n’est « ni plus ni moins qu’un rappel au rétablissement de l’ordre républicain », lequel aurait donc été menacé à Sivens. En effet ! M. Fernandez indique en préambule de son courrier qu’il est urgent « de rappeler que dans un état de Droit, les décisions prises par les élus, dans le respect des règles démocratiques, ne sauraient en aucun cas être remises en question ». Même quand elles l’ont été par des élus de la République qui, surmontés d’un bonnet rouge, lancèrent le mouvement éponyme ?
M. Fernandez ne fait pas qu’écrire. Il ajoute aussi des pièces jointes. L’une est un projet de courrier type à adresser par chacun des 323 maires du département à « Monsieur le Préfet » et à « Monsieur le Président du Conseil Général ». Il ne manque que « Monseigneur l’Évêque ». Cela commence par un vibrant « Je tiens, en tant qu’élu local de la République Française dans le Tarn, à vous remercier très solennellement et très chaleureusement pour votre action et celle de vos services ». Action remarquable de légalité déjà saluée par le rapport d’experts mandée par la ministre de l’écologie, et par icelle ensuite, il faut le rappeler, ainsi que par la Société nationale de protection de la nature (SNPN). Dans un communiqué du 7 novembre, celle-ci nous précise, par exemple, que, dans le cadre de la procédure de dérogation pour la protection des espèces animales protégées, la commission Faune du Conseil national de protection de la nature (CNPN) avait par deux fois étudié le dossier de demande de dérogation déposé par le Conseil général du Tarn et, par deux fois, avait donné un avis négatif. Un avis qui, s’il en avait été tenu compte, aurait au moins amélioré le projet.
À qui la faute ? « En premier lieu au Conseil général du Tarn qui n’a tenu aucun compte des avis du CNPN sur le projet. Au préfet du Tarn qui n’a pas suivi l’avis négatif du CNPN mais a, au contraire, donné le feu vert au projet en signant l’arrêté qui autorise la destruction d’espèces protégées et de leurs habitats. ». Afin de ne vexer personne, la SNPN désigne aussi les services déconcentrés de l’État, « La Dreal, qui n’a pas su persuader le préfet que passer outre à un avis négatif du CNPN pourrait entraîner un contentieux juridique et tout ce qui peut aller avec ». La Dreal a dû répercuter sur le Préfet, comme c’est souvent le cas, des injonctions tombées du cabinet du ministre de l’écologie de l’époque, le déjà oublié Philippe Martin, un élu du Gers qui a toujours eu une oreille attentive pour ses collègues du Tarn. Peut-être parce que Francis Daguzan, le quatrième vice-président du Conseil général du Gers, dont Philippe Martin est à nouveau le Président, n’est autre que le président du Conseil d’administration de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), le maître d’œuvre juge et partie du barrage de Sivens. Un mélange des genres très républicain.
Mais l’essentiel est la peur qu’on a eue de voir des chevelus planter des arbres à Sivens. Il convient donc d’exprimer sa gratitude au Président du CG et au Préfet du Tarn. « On ne peut passer sous silence les exactions, les occupations illicites, les dégradations des lieux publics et privés, et surtout les menaces, les injures et les coups que les forces de police et les personnels du Conseil Général ont subi en silence et avec dignité », s’indigne l’édile. S’était-il époumoné sous le lisier déversé en septembre à Albi par des agriculteurs indignés du sort fiscal qui s’acharnait sur eux ? S’il l’a fait, c’est en silence et avec dignité, car on a rien entendu. Attention, il ne faut pas se méprendre, tout de même, car ce rappel à l’ordre n’est mû que par l’intérêt général, celui du changement climatique et du renforcement des réserves en eau dans le bassin du Tarn, se justifie l’élu.
Sait-il à qui il s’associe dans cet appel ? Tarn Ruralité réunit la Chambre d’agriculture du Tarn, la FDSEA, les Jeunes agriculteurs, la CCI du Tarn, la Chambre des métiers et de l’Artisanat, le Syndicat des propriétaires sylviculteurs. Dans le communiqué de ces pétillants « Corps constitués », publié le 3 novembre, on lit un bouleversant « Ça suffit » prononcé par les « Tarnaises et les Tarnais victimes d’une situation qui se développe sans que les pouvoirs publics n’en prennent l’exacte mesure ». La guerre civile n’est pas loin dirait-on. Que faire ? Tarn Ruralité exige que « les personnes et les biens soient protégés par les autorités, contre les exactions régulièrement commises par des personnes extérieures à la vie du département ». L’estranger, toujours. La Police dans la rue. Mais pourquoi ne réclament-ils pas l’été d’urgence ? !
Il y aura donc à Albi une belle manifestation de cheveux courts et d’écharpes tricolores. On chantera sans doute la Marseillaise, on déposera peut-être une gerbe au Monument des anciens combattants. Y aura-t-il aussi des « V » de victoires comme en 1968 ? La trouille inquiétante de M. Fernandez n’est heureusement pas communicative. Un maire lui a répondu. Lui explique que « dans une époque où la confiance dans nos représentants politiques est toujours plus altérée, à redonner du sens à l’action politique », il serait intelligent de ne pas rajouter ainsi de l’huile sur le feu. S’étonne que le courrier ne dise rien sur « les violences exercées par la FNSEA ». Pousse M. Fernandez, à appeler aussi à un rassemblement pour le rétablissement de l’écotaxe, votée par la quasi-totalité des député(e)s mais retirée par l’exécutif. D’autres élus lui répondent sur un magnifique Cahier de doléances des citoyens du tarn | ouvert pour réagir aux déclarations de certains élus tarnais à propos des événements liés au barrage de Sivens.
La mauvaise haleine n’a pas encore envahi les élus du Tarn. Le moisi n’a pas encore attaqué les murs des mairies. Mais la menace est là. Celle de l’Ordre comme seul recours.
l’article sur Médiapart ici